50ème anniversaire EME F-USA
2 - La construction de la station EME
2.1 La problématique
En ces temps reculés, on ne savait pas grand-chose sur les possibilités de l’EME chez les radioamateurs. Les tous premiers échos furent découverts par inadvertance en Allemagne sur l’île de Rügen en 1944 où un radar expérimental de la société Telefunken (projet Würtzman) de 120 KW sur 564 MHz mit en évidence d’étranges séries d’impulsions 2,5 secondes après la transmission. La lune était juste au-dessus de l’horizon dans le lobe de l’antenne et le phénomène disparut lorsqu’elle prit de l’élévation. C’était donc bien la réflexion lunaire qui en était la cause. Comme quoi on peut quelquefois découvrir bien autre chose que ce que l’on cherche.
Les militaires américains et des sociétés commerciales ont ensuite mené des essais systématiques juste après la deuxième guerre mondiale (projet Diana en 1946) qu’ils poursuivirent jusqu’en 1960 car la CIA voulait surveiller les radars soviétiques. Les données collectées permirent d’établir des abaques pour déterminer le bilan de liaison sur 144 MHz et en déduire quelle puissance pour l’émetteur, quel facteur de bruit pour le récepteur (en fonction de la bande passante BF) et quel gain pour le système d’aériens.
La bande 144 nous paraissait la plus prometteuse car, outre l'expérience acquise pendant les QSO par réflexion sur les traînées de météorites, le matériel était plus facile à mettre en oeuvre que sur des fréquences plus élévées comme le 432 ou 1 296.
Compte tenu de l'atténuation de 252 dB à 144 MHz, d'un facteur de bruit estimé à 2.5 dB, d'une bande passante de 50 Hz et d'une puissance HF de 600 Watts, on pouvait en déduire qu'une antenne de 20 dB dipôle devait suffire pour que les signaux nous reviennent au niveau du bruit.
Restait à espérer que la température du ciel, le doppler (phénomène naturel dû au déplacement relatif des deux astres), la libration de la Lune, sa distance à la Terre ainsi que la rotation de polarisation des ondes (effet Faraday) ne nous soient pas trop défavorables.En fait, on n'avait pas trop le choix car, si l'on connaissait la distance Terre-Lune ainsi que la valeur du doppler (en moyenne 220 Hz entre W6DNG et F8DO), il était difficile à l'époque d'envisager des systèmes d'antennes polarisées.
2.2 L’émetteur
Il fallait sortir environ 600 watts HF avec un émetteur piloté quartz pour garantir la stabilité et en CW qui était le seul mode pratiqué pour l’EME à l’époque. F1BF a donc construit l’émetteur de A à Z dans un rack en cornières achetées chez le quincailler du coin. La partie pilote comprenait un oscillateur quartz 8 MHz dans une enceinte thermostatée, un étage tripleur 8/24 , un autre étage tripleur 24/72, un étage doubleur 72/144 et un étage driver pour produire une quinzaine de watts sur 144 MHz à partir d’une QQE 03/20, ce qui était très largement suffisant pour exciter le PA équipé de tubes céramique 4CX300 (du moins au départ). Evidemment à l’époque, tout était à tubes y compris dans les alimentations. Le transfo fourni par F1HR était connecté à deux diodes à vapeur de mercure de type 866A car monter un pont de diodes au silicum aurait nécessité 4 branches de 8 diodes bien coûteuses et dont la durée de vie était assez aléatoire.
Côté mécanique, le compartiment PA était équipé d’une soufflerie à cage d’écureuil et la seule partie compliquée était le circuit plaque dont on peut voir le schéma ci-après. La première version de ce circuit fut réalisée par F1DF, OM marseillais, bijoutier de son état et disposant d’un tour de précision. Rencontré chez F1BF au cours de la construction, il nous a usiné les pièces en laiton qui font encore notre admiration.
Le PA 144 MHZ F8DO-F1BF
Schéma du PA
2.3 La réception
L’ensemble de réception utilisé à la station F8DO permettait de mettre en évidence des signaux estimés à 10 dB en-dessous du niveau normalement décelable à l’oreille. Il était composé des éléments suivants :
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un convertisseur à tubes 144/28 MHz de type F8CV avec une E88CC, précédé d’un préampli à « nuvistor » 6CW4 (le must à l’époque chez les OM), offrant un facteur de bruit de 2,5 dB environ, mesuré sur un générateur de bruit construit pour la circonstance,
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un récepteur Drake R4A (la seule partie commerciale de l’ensemble) avec une bande passante FI de 400 Hz.
En complément, la BF était ensuite dirigée vers deux canaux décalés de 170 Hz aboutissant à un discriminateur suivi d’un filtre passe-bas abaissant la sélectivité à 2 Hz. Ainsi, un système appelé « slicer » chez les américains (balance de Schmitt) permettait de faire apparaître des tensions de plusieurs volts alors que le signal était noyé dans le bruit. On pouvait par exemple débloquer un oscillateur BF pour « reproduire » la CW reçue.
2.4 Le système d’antennes (récit de F8DO)
L'antenne devait avoir un gain d'au moins 20 dB dipôle ce qui n'était pas évident à obtenir. Seules des yagis étaient envisageables car l'antenne devait pouvoir poursuivre la Lune ce qui nécessitait deux moteurs, l'un azimuthal, l'autre pour l'élévation.
On avait à un moment envisagé un système équatorial beaucoup plus simple mais on n'était plus maître de la polarisation des antennes et on ajoutait un paramètre important pour le bilan de la liaison car le correspondant n'avait pas forcément le même système. Mieux vallait donc construire un système EL/AZ comme on dit maintenant et avoir au moins la certitude d'une même polarisation des antennes.
Au vu des résultats obtenus à l'époque en MS par F8DO sur une 2X9 el Tonna, il fut envisagé de constuire un système de 8 antennes qui fournirait environ les 20 dB attendus mais deux problèmes se posaient. Personne, du moins en France, n'avait à l'époque mis en phase 8 antennes et d'autre part, outre le volume dans l'espace qui faisait un peu peur, nos moyens financiers n'étaient pas à la hauteur de l’ambition du projet si l'on ose dire…Une lettre avait été envoyée à F9FT lui demandant s'il pouvait nous vendre 8 dipôles de ses yagis 9 éléments. Le projet Terre Lune Terre était détaillé et je précisais que je m'engageais à construire les antennes.
Les vacances de l'été 1965 furent consacrées à des essais infructueux avec deux antennes de chez F9NT qui s’avérèrent beaucoup trop lourdes puis, un matin, un parent d'élève cultivateur sonna à la porte. Il m'apportait un énorme colis qu'il avait trouvé en gare de Belleville-sur-Saône avant d'être livré à mon domicile. Il contenait 8 antennes 9 el. toutes neuves ainsi qu'une lettre de F9FT. Marc se disait heureux de participer à sa façon au projet EME.
Restait à les monter et surtout à matcher l'ensemble.
F9FT préconisait des coaxiaux 75 ohms qui devaient réunir les antennes de façon satisfaisante mais à y regarder de plus près, je me rendis compte que je risquais de perdre environ 2dB sur l'ensemble rien qu'en coaxial et en connecteurs. Cela revenait à perdre 4 dB sur l'aller-retour ce qui n'était pas admissible. Il faut dire qu'à cette époque lointaine, les coaxiaux à faible perte étaient très rares…
C'est ce qui me décida à employer des lignes ouvertes. La construction prit quelques jours car on n'en trouvait pas dans le commerce et il fallu percer une quantité importante d'écarteurs. Les lignes construites et soudées se révélèrent conformes aux attentes. Un balun en coaxial 75 ohms et un stub ramena le TOS à presque 1/1 et de rapides passages sur le soleil ont permis d’en entendre le bruit et de montrer que l'antenne fonctionnait parfaitement.
Restait à mettre tout ça en l’air.
La 8x9 él. en place sur son pylône
Détails de la 8x9 él.
2.5 L’assemblage des composants (juillet-août 1966)
Ce fut le temps des surprises, bonnes et mauvaises, et de quelques aventures que nous n’avons pas oubliées. F1BF avait construit l’émetteur chez lui à Granges-les-Valence (Ardèche) mais il ne disposait pas de charge adéquate pour faire le règlage de l’étage final. Début juillet 1966, il apporta donc son œuvre chez F8DO à Dracé et, lors du passage en émission antenne branchée, il ne se passa d’abord rien puis vinrent une explosion et des arcs électriques assez effrayants dans le compartiment plaque des 4CX300. On ne pouvait pas mettre les mains dedans avec 2 KV (sauf à le faire une seule fois) et, renseignement pris auprès d’Eimac Suisse, il aurait fallu « dégazer » les tubes en les faisant chauffer juste avec la tension filament pendant au moins 24 heures. Aujourd’hui, tous ceux qui utilisent des tubes de puissance le savent mais, à cette époque, nous n’en avions pas la moindre idée. Les précieux tubes étaient passés de vie à trépas, F1BF avait acheté les supports spéciaux (un demi-mois de salaire à l’époque) et il rentra à la maison avec son PA pour changer les supports et installer des 4X150 ou des 4CX250B de performances voisines plus faciles à trouver dans le milieu amateur car ils équipaient une partie des émetteurs de télévision de l’ORTF (maintenant TDF) où certains amis OM travaillaient (une partie des tubes qu’on nous a procurés provenaient certainement du stock de spare, mais il y a prescription). Comme les capacités de sortie et le diamètre des anodes étaient un peu différents, nous dûmes abandonner le beau circuit de F1DF et construire de nouvelles lignes. Un artisan valentinois spécialisé dans les dépôts sur métaux procéda à la dorure électrolytique du circuit de sortie. Nous pensions que le projet méritait bien quelques microns d’or fin réputés améliorer la conductivité en VHF et limiter l’oxydation de cette partie vitale. Aucune preuve réelle de ces bienfaits n’a été formellement mise en évidence mais nous avions au moins la conscience tranquille.
La nouvelle version de l’émetteur reprit la route de Dracé fin août, F8DO ayant entre temps assemblé le pylône, les moteurs de site et d’azimuth et les 8 yagis. Cette fois, pas d’explosion à la mise sous tension, la puissance de sortie s’avéra conforme aux 600 watts que nous attendions. A l’époque, le Bird 43 étant un outil rare, nous mesurions l’élévation de température d’une charge Heathkit Cantenna en fonction de la durée d’émission.
L’émetteur, c’était fait. Restait à dresser le pylône et les antennes. F8DO avait tout préparé à 2 mètres de hauteur sur un pylône basculant mais pas télescopique. Etant l’instituteur du village apprécié de tous, il fit appel à des habitants voisins qui se mobilisèrent pour l’occasion. Faire passer toute cette précieuse ferraille de 10 à 90 degrés par rapport à l’horizontale nécessita une équipe d’un côté dans la cour de l’école qui poussa sur le mileu du pylône avec des échelles et une équipe à l’opposé dans le jardin pour tirer avec des cordes. Même les gendarmes du canton voisin étaient venus assister à l’opération, des fois qu’il aurait fallu faire un constat en cas d’évènement tragique.
Lorsque l’élévation approcha les 45 degrés, les échelles s’avérèrent trop courtes et le pylône fit un arc de cercle certes grâcieux mais inquiétant. Finalement, les gros bras qui tiraient sur les cordes eurent gain de cause sans casse et la verticale fut atteinte.
Ces moments inoubliables ont été enregistrés par YL F8DO en caméra Super 8 et convertis en numérique pour donner la vidéo que vous pouvez regarder ici
Il ne restait plus qu’à régler les haubans, les câbles de descente des antennes et des rotors, enfin libérer les cordes encore attachées en haut. Facile, sauf qu’il fallait que « quelqu’un » monte dans l’édifice à 11 mètres au-dessus du sol. Grand moment de silence, F1BF qui pratiquait l’escalade dans les Alpes s’y colla, la foule était étonnemment silencieuse et les gendarmes avaient reculé de deux mètres par précaution ! Tout se passa sans encombre, les moteurs tournaient dans le sens prévu et le TOS était bon.
Murphy semblait nous avoir oubliés mais il rôdait encore dans le secteur. Quelques jours après l'érection de l'antenne, un orage de grêle s'abattit sur le nord du Beaujolais. On s'en souvient encore puisqu'à Villié Morgon il fallu dégager les rues avec des tracteurs .L'antenne n'avait pas trop souffert. Quelques éléments étaient tordus et comme il était difficile de tout redescendre, le plâtrier du village monta gracieusement son plus grand échafaudage que F8DO puisse redresser les éléments.
Un peu plus tard, après de fortes pluies, nous découvrîmes que le coaxial M7A de chez Filotex, câble faible perte de 11 mm aéré en étoile, utilisé en TV UHF (la deuxième chaîne de l’époque), était tout sauf étanche mais c’était ce qu’on trouvait de mieux à un prix abordable en 1966.
F8DO s’en souvient encore et retrace l’évènement qu’il l’a vécu : un après midi, je vois arriver la « bande des lyonnais », F3KF le Président du REF 69 accompagné de F9LN, F9TH et F9SQ. "On est venus pour entendre des échos sur la Lune, j'espère qu'on ne sera pas déçus car on a fait 100 km aller-retour " s'inquiète F3KF. Pas de problème la Lune est dans le ciel assez haute, cela devrait fonctionner.
Misère ! Une rapide mesure de TOS indique qu'il y a de l'eau dans le coax. Comme je ne pouvais pas trop les décevoir, je me précipite chez le forgeron du village qui me prète un gonfleur. Je revois encore la mine stupéfaite des OM lyonnais lorsqu'un véritable jet d'eau sort du coax à 11 mètres de hauteur. Heureusement il faisait encore chaud ce dimanche et, lorsque le TOS revint à peu près à la normale, la lune avait eu la bonté de rester dans le ciel. Ils purent entendre quelques échos.
Enfin, nous étions prêts.